Il a suffi à Moïse de frapper le rocher pour en faire jaillir une source, alors je me frappe, pour irriguer la terre sèche de mon âme, pour pallier à l’aridité de mon existence. Tous les jours je me frappe, avec un fouet, je me purge de ces années de misère où j’ai prononcé en vain le nom du Seigneur, où j’ai bafoué ma vie à grands coups de gin et de whisky, sur l’autel de cette soif infinie qui me buvait du dedans jusqu’à me brûler les tripes. J’ai bu ma famille, ma joie et maintenant je me frappe, comme Moïse son rocher, pour en presser le citron, pour faire jaillir en moi le peu de pureté qui resterait dans les interstices de mon corps. Pour être franc, tout ce que j’en tire, c’est de la douleur. J’en suis même venu au sang, l’autre jour. Mais c’était le même vieux sang qu’auparavant, sale et usé, comme une vieille huile chargée d’impuretés qui alourdirait mon corps. Jusqu’à l’enfoncer dans la terre pour de bon. Tout le monde serait content.
Le prêtre m’a dit, à la confesse, que je pouvais aller en paix, que j’étais lavé de tous mes péchés, mais moi je les sens encore, mes péchés, qui frémissent, qui ont soif d’une autre gorgée. Je veux plutôt les abreuver de mon sang, leur retourner cette saleté, les étouffer avec. Alors c’est le fouet qui crie maintenant dans ma chambre pour enterrer le bruit de la soif, ce sont des plaies qui s’entrouvrent et qui saignent pour m’ouvrir le chemin de la mort. Le silence, lui, me répète toujours la même chose : « Bois. » J’ai arrêté de l’écouter, mais je ne cesse de l’entendre, du fond de ma solitude, qui crie, se tord et se déchire. Qui en demande encore.
Je bois pour le feu qui monte en moi, qui se retire tranquillement dans mes veines en berçant mon esprit torturé. C’est un peu de paix que je laisse glisser dans mon corps à chaque fois. Mais toujours ça revient, ce grand vide d’être inutile à mes proches, ce sentiment d’être un poids mort pour moi-même. Il ne faut pas jeter d’huile sur le feu, comme ils disent, mais j’ai envie de prendre cette dernière gorgée, celle de trop qui m’enflammerait pour toujours, m’illuminant pour un instant au centre de cet univers noir qui m’étouffe.