lundi 1 décembre 2008

Moïse

Il a suffi à Moïse de frapper le rocher pour en faire jaillir une source, alors je me frappe, pour irriguer la terre sèche de mon âme, pour pallier à l’aridité de mon existence. Tous les jours je me frappe, avec un fouet, je me purge de ces années de misère où j’ai prononcé en vain le nom du Seigneur, où j’ai bafoué ma vie à grands coups de gin et de whisky, sur l’autel de cette soif infinie qui me buvait du dedans jusqu’à me brûler les tripes. J’ai bu ma famille, ma joie et maintenant je me frappe, comme Moïse son rocher, pour en presser le citron, pour faire jaillir en moi le peu de pureté qui resterait dans les interstices de mon corps. Pour être franc, tout ce que j’en tire, c’est de la douleur. J’en suis même venu au sang, l’autre jour. Mais c’était le même vieux sang qu’auparavant, sale et usé, comme une vieille huile chargée d’impuretés qui alourdirait mon corps. Jusqu’à l’enfoncer dans la terre pour de bon. Tout le monde serait content.
Le prêtre m’a dit, à la confesse, que je pouvais aller en paix, que j’étais lavé de tous mes péchés, mais moi je les sens encore, mes péchés, qui frémissent, qui ont soif d’une autre gorgée. Je veux plutôt les abreuver de mon sang, leur retourner cette saleté, les étouffer avec. Alors c’est le fouet qui crie maintenant dans ma chambre pour enterrer le bruit de la soif, ce sont des plaies qui s’entrouvrent et qui saignent pour m’ouvrir le chemin de la mort. Le silence, lui, me répète toujours la même chose : « Bois. » J’ai arrêté de l’écouter, mais je ne cesse de l’entendre, du fond de ma solitude, qui crie, se tord et se déchire. Qui en demande encore.
Je bois pour le feu qui monte en moi, qui se retire tranquillement dans mes veines en berçant mon esprit torturé. C’est un peu de paix que je laisse glisser dans mon corps à chaque fois. Mais toujours ça revient, ce grand vide d’être inutile à mes proches, ce sentiment d’être un poids mort pour moi-même. Il ne faut pas jeter d’huile sur le feu, comme ils disent, mais j’ai envie de prendre cette dernière gorgée, celle de trop qui m’enflammerait pour toujours, m’illuminant pour un instant au centre de cet univers noir qui m’étouffe.

5 commentaires:

Tattoo a dit…

Ça, c'est très, très fort.

C'est noir, dense et surtout, vrai.

On sent la culpabilité du personnage, elle est palpable. Son obsession aussi.

Tu tiens quelque chose, là. J'aimerais en savoir plus sur ce personnage. Sur sa famille, sa vie.
Sa mort?

La langue est dure et poétique. Un vocabulaire simple mais chargé de sens.

On en veut plus.

Jérôme-Olivier Allard a dit…

Je dois toujours relire tes textes trois ou quatre fois pour bien m’en faire une idée. Ta prose et ta poésie sont tellement denses et touffues, pleines de symboles et de lyrisme. Ton écriture est organique, tiens, faite de chairs, animale et végétale, veinée de sang et de sève.

Oui, on en veut plus.

Mamathilde a dit…

Ouf! Quel texte!

Une telle souffrance décrite en si peu de mots. Belle maîtrise Vianney, vraiment.

Vianney a dit…

Merci à tous. Je croyais pas que ça allait quelque part, mais je relis et effectivement il y a peut-être du potentiel à développer. Je me suis levé un matin avec la première phrase en tête, et j'ai quitté le lit pour écrire ça, en deux fois. Je ne sais pas trop comment développer le contexte narratif, Tatoo, mais je vais creuser ça.

Tattoo a dit…

Le problème avec les textes si denses, c'est que tout ce que tu leur ajoutes peut sembler superflu. Il faut frapper fort, à chaque coup.