samedi 20 février 2010

Rompre le courage d'une fleur

Mourir, mais ralentir un peu le pas, avant de tomber tout à fait clos dans la mare, de rompre le dernier regard et crouler sans preuve, un peu de miel au bord des lèvres. Mourir, passer outre les repères, joindre l’âpre secret des marées, échanger de tristes billets sans retour. Mourir et rejoindre la rouille, briser les meubles et blesser les cadres. Mais vivre. Avant la nuit. Au hasard des clameurs, un peu de marteau aux tempes. Remanier les saisons, confondre les couleurs. Rompre le courage d’une fleur.

dimanche 22 février 2009

L'été à Vianney

En plein cœur de l’été, les granges sont solaires, à Vianney, on y emmagasine une telle quantité de lumière que le soleil palpite encore dans l’odeur du foin. Et c’est de vertige que se prend le fermier quand, au comble de la chaleur de midi, il monte sur les meules pour y humer cet air chargé de l’ivresse de l’été.

samedi 27 décembre 2008

La bedaine

La veille, c’était Noël. Une journée comme les autres. Avec une fin en queue de poisson au bout, lorsque les lumières se ferment, lorsque plus rien ne subsiste de cette présence humaine qui vous entoure et qui vous fait croire que vous n’êtes pas seul avec votre chagrin usé, rapiécé à coups de petites misères, trop subtiles et pas assez tragiques pour qu’on n’y remarque rien. Pour tout le monde, elle était heureuse, avec son immense bedaine supposée comblée du bonheur d’une future maternité. Mais personne ne voyait cette lourdeur qui l’accablait et qui l’enfonçait dans la terre au lieu de la laisser porter sur les nuages. En ce matin du 26 décembre de la fin du monde, la lumière passait lâchement la fenêtre étouffée par le givre. On pouvait à peine respirer tellement le maison semblait prise dans l’hiver. En se réveillant, Marie avait regardé son nombril enflé par une grossesse presque arrivée à son terme, et qui se nourrissait d’elle, lui flétrissait l’âme. « Né de père inconnu, et de mère décédée le jour de sa naissance », dira-t-on de l’enfant. Et on le confiera à qui veut bien le prendre à sa charge. Toute sa vie, il se sentirait comme un colis sans destinataire, perdu dans les dédales de la poste, en quête d’une adresse où atterrir, la première ayant été effacée par la pluie dès qu’elle eût été envoyée. Non, Marie ne le laisserait pas ainsi abandonné aux aléas du monde. Elle se leva, posant ses pieds sur le plancher froid de la chambre, puis se dirigea, presque nue, vers son bureau de travail, où l’attendait du papier à lettre et un stylo. Elle écrivit quelque chose, puis posa le crayon à côté de l'ouvre-lettre.
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Lorsque Philippe reçut l'enveloppe, il remarqua des taches rouges qui avaient imbibé le papier, on aurait dit du sang. Il la décacheta, et y lut, en lettres rouges, ces quelques mots, condensé d’une histoire trop brève qui aurait pu être élaborée davantage : « Elle portait en son ventre un petit cheval. Un jour, il lui prit une envie folle de galoper avec lui. Alors elle s’ouvrit le ventre pour le laisser aller, et ils partirent ensemble. » Alors il prit le manuscrit, et le déposa sur la pile des histoires refusées.

lundi 15 décembre 2008

Une amorce de texte

En ce temps-là, le monde était une boue sans forme, une grosse masse lourde dont j’étais le centre, aveugle à toute lumière.

mercredi 3 décembre 2008

Les viaducs s'écroulent

La route est dure et les hommes boitent sur le bas-côté. Les voitures passent en les éclaboussant. Ils rêvent d’un peu de soleil, d’un petit coin d’herbe sèche pour délasser leurs bottes et se reposer un peu. La journée a été longue comme un déluge et s’est abattue sur eux, sans doute pour les punir de leur faiblesse. C’est de feu dont ils auraient besoin : ils l’entendent qui crépite au bout du chemin, et qui les appelle à venir sécher leurs vieux os. Ce qu'il leur faut, c'est un peu de paix, et le silence de la cendre, au matin, quand l’aube leur rappelle que tout est toujours à recommencer, que la vie passe entre les voitures, que les viaducs s’écroulent, et que la mort viendra toujours récompenser ces pauvres bêtes éparpillées dans la boue.

lundi 1 décembre 2008

Moïse

Il a suffi à Moïse de frapper le rocher pour en faire jaillir une source, alors je me frappe, pour irriguer la terre sèche de mon âme, pour pallier à l’aridité de mon existence. Tous les jours je me frappe, avec un fouet, je me purge de ces années de misère où j’ai prononcé en vain le nom du Seigneur, où j’ai bafoué ma vie à grands coups de gin et de whisky, sur l’autel de cette soif infinie qui me buvait du dedans jusqu’à me brûler les tripes. J’ai bu ma famille, ma joie et maintenant je me frappe, comme Moïse son rocher, pour en presser le citron, pour faire jaillir en moi le peu de pureté qui resterait dans les interstices de mon corps. Pour être franc, tout ce que j’en tire, c’est de la douleur. J’en suis même venu au sang, l’autre jour. Mais c’était le même vieux sang qu’auparavant, sale et usé, comme une vieille huile chargée d’impuretés qui alourdirait mon corps. Jusqu’à l’enfoncer dans la terre pour de bon. Tout le monde serait content.
Le prêtre m’a dit, à la confesse, que je pouvais aller en paix, que j’étais lavé de tous mes péchés, mais moi je les sens encore, mes péchés, qui frémissent, qui ont soif d’une autre gorgée. Je veux plutôt les abreuver de mon sang, leur retourner cette saleté, les étouffer avec. Alors c’est le fouet qui crie maintenant dans ma chambre pour enterrer le bruit de la soif, ce sont des plaies qui s’entrouvrent et qui saignent pour m’ouvrir le chemin de la mort. Le silence, lui, me répète toujours la même chose : « Bois. » J’ai arrêté de l’écouter, mais je ne cesse de l’entendre, du fond de ma solitude, qui crie, se tord et se déchire. Qui en demande encore.
Je bois pour le feu qui monte en moi, qui se retire tranquillement dans mes veines en berçant mon esprit torturé. C’est un peu de paix que je laisse glisser dans mon corps à chaque fois. Mais toujours ça revient, ce grand vide d’être inutile à mes proches, ce sentiment d’être un poids mort pour moi-même. Il ne faut pas jeter d’huile sur le feu, comme ils disent, mais j’ai envie de prendre cette dernière gorgée, celle de trop qui m’enflammerait pour toujours, m’illuminant pour un instant au centre de cet univers noir qui m’étouffe.

mardi 25 novembre 2008

Le courage est rare (version remasterisée)

Tu dis que le courage est rare
que le souffle s’enlise
entre les murs

tu luttes contre ce froid qui force tes lèvres
un froid du dedans
un goût d’agonie qui monte à la gorge

au large l’éclair trébuche encore
et force le chemin des eaux
tu l’entends qui arrive et qui a faim

tu marches à sa rencontre
parmi tes débris d’années noueux
le monde a un goût de soif et de liberté

la femme est là
sa chaleur noire te hante