mardi 18 novembre 2008

Citation de Heidegger à méditer

«En un temps où le coin le plus éloigné du globe a été soumis à la domination de la technique et est devenu exploitable économiquement, quand n'importe quel événement dans n'importe quel lieu à n'importe quel moment est devenu accessible aussi rapidement que possible, quand on peut «vivre» simultanément un attentat contre un roi de France et un concert symphonique à Tokyo, quand le temps n'est plus que vitesse, instantanéité et simultanéité, et que le temps comme pro-venance a disparu de l'être de tous les peuples, quand le boxeur est considéré comme le grand homme d'un peuple, quand le rassemblement de masse de millions de gens est considéré comme un triomphe -- alors, vraiment, en une telle époque, les questions qui planent comme des spectres au-dessus de toute cette sorcellerie demeurent: pour quoi faire? -- pour aller où? -- et quoi ensuite?»

8 commentaires:

Tattoo a dit…

Je dois être dumb, mais je n'y comprends rien. Peut-être parce qu'il est passé minuit et que je mange mes cernes.

J'aurais besoin de replacer la citation dans son contexte pour mieux la saisir, j'imagine.

Sortir un extrait de son contexte, c'est cruel comme balancer un bébé oiseau hors de son nid.

C'est pourquoi il faut lire Critique de la raison pure intégralement, ou renoncer à y piger quoi que ce soit.

Bon, je déraille encore...

Ga ga ga.

Jérôme-Olivier Allard a dit…

C’est dans Être et temps ?

Bien qu’on puisse considérer la pensée d’Heidegger comme plutôt datée, cet extrait signale des considérations plus qu’actuelles. Particulièrement : « le temps n'est plus que vitesse, instantanéité et simultanéité, et le temps comme provenance a disparu de l'être de tous les peuples ».

Je ne prétendrai tout comprendre, mais je reconnais dans ce malaise relatif à l’instantanéité et à la simultanéité qu’Heidegger éprouve, un glissement dans notre conception du temps.

Je vous cite François Ost : « l'évidence de notre « conscience intime du temps », pour parler comme Henri Bergson, suggère un écoulement de l'avant vers l'après, selon un mouvement à la fois irréversible et unidirectionnel. La nature entière, la matière aussi bien que la vie, semble en effet emportée dans un flux incessant dont la seconde loi de la thermodynamique enseigne qu'il conduit à une entropie croissante, et bientôt à une fin inéluctable ».

Cette conception linéaire du temps, dépassée depuis belle lurette et particulièrement depuis la théorie de la relativité, a cédé sa place à d’autres conceptions plus fines, plus complexes. On aura qu’à penser au temps cyclique borgésien qui veut que le « temps [soit] comme un cercle qui tournerait sans fin : l’arc qui descend est le passé, celui qui monte est l’avenir; en haut, il y a un point indivisible qui touche la tangente, et qui est le présent.»

Je défends pour ma part la conception d’un temps vectoriel stratifié, propre aux théories du multivers (Hugh Everett, David Deutsch, etc.), où s’accumulent un nombre infini de possibles.

Vianney a dit…

Comment ça, datée, Ascalyon?
La pensée ne peut être datée, surtout quand on parle de choses aussi intemporelles que l'Être. Pour ma part, ce que je voulais souligner avec cette citation, c'est la malaise que je ressens dans notre monde actuel, un monde dans lequel le savoir n'est qu'un divertissement, un jeu qui sert à une masturbation intellectuelle, puisque le pouvoir et la réalité sont soumis aux impératifs techniques de la raison et de la science, alors que la rencontre vécue des choses, plus intuitive, plus ressentie, est considérée comme dérisoire, et «datée», justement. Je suis pour une habitation du monde plus intuitive et mythique. Un rapport où le sacré prédomine sur l'outil, et où l'homme a le dernier mot, par rapport aux impératifs économiques, scientifiques, psychologiques, sociologiques.

Vianney a dit…

Tatoo: une citation sortie de son contexte peut être intelligemment sortie de son contexte, j'espère l'avoir fait ici. J'avoue que c'est dangereux, mais c'est difficile de bloguer toute une oeuvre...

Tattoo a dit…

Je sais bien qu'on peut sortir une citation de son contexte sans tronquer la pensée qu'il y a autour et derrière. Sinon, les études littéraires seraient impossibles, je crois.

Je voulais juste parler des bébés oiseaux. L'occasion s'y prêtait trop bien.

S'cusez mes dérapages.

Jérôme-Olivier Allard a dit…

Vianney, je te dirais que non seulement j’ai l’impression que la pensée peut être datée, mais je crois qu’elle est nécessairement, intrinsèquement datée, puisque le penseur – à moins d’être un ermite n’ayant eu aucun, aucun, contact avec le monde réel (ce qui n’est possible qu’en théorie) – le penseur, donc, et sa pensée, ne peuvent qu’être ancrés dans une certaine réalité qui leur est contemporaine, le penseur ne peut s’inscrire complètement en dehors de la société qui lui dicte, nécessairement, certains codes. Évidemment, le lecteur réussira parfois à trouver dans une œuvre des échos qui auront, pour lui, une résonance contemporaine. Mais je ne crois pas qu’il y ait une quelconque intemporalité de la pensée, loin de là. C’est dans cette optique que j’ai dit que la pensée d’Heidegger était datée, ce qui ne lui enlève évidemment aucune valeur. Loin de moi l’idée de quantifier la qualité d’un penseur en fonction de son époque. Laissons la querelle des anciens et des modernes à Isabelle Daunais. Heidegger a le mérite d’être encore lu 30 ans après sa mort et, bien que ce soit souvent l’Institution qui choisisse que telle ou telle pensée traversera les siècles, on ne peut qu’être admiratif.

Et si je trouve séduisante l’idée d’une habitation plus intuitive et mythique du monde, je suis toutefois en désaccord lorsque tu avances que le savoir n’est désormais qu’un divertissement, un jeu qui sert à une masturbation intellectuelle. Ce sont la science, la psychologie, la sociologie, etc., qui ont permis à l’homme d’avoir le dernier mot sur le sacré.

Vianney a dit…

Vois-tu, c'est là où je suis un peu en désaccord, quoique de façon modérée, avec toi. Je crois que ce qui importe, c'est justement le rapport au sacré, sans toutefois nier l'utilité du reste. Car le sacré est tout ce qui reste de gratuit est d'inutile en ce monde, le reste étant utile. Je revendique le droit d'être inutile, et d'aimer l'inutile. C'est pour ça que j'écris de la poésie entre autres. Ça va beaucoup plus loin que ça, mais ça commence là.

Vianney a dit…

Je suis d'accord avec les bébés oiseaux, justement parce qu'ils si inutiles en ce monde, mais de par leur inutilité, ils sont si beaux.