samedi 8 novembre 2008

Madame Émilienne

Madame Émilienne a de grosses miches, qu’elle tient serrées, bien fort. Tous les jours il passe, c’est son client préféré. Sa belle moustache farineuse s’ébroue au vent avec désinvolture. Madame Émilienne le regarde passer devant elle, se choisir une baguette, puis venir à elle. Il lui donne toujours ses cinq euros, en disant : gardez la monnaie, madame. « Madame », la manière dont il prononce ce mot, avec juste assez d’emphase en étirant les « a », comme ça : « AA ». C’est sûrement un retraité, un homme cultivé, veuf, de surcroît, qu’elle se dit, madame Émilienne. Là, elle songe à la baguette de ce monsieur, qu’il ramènera chez lui, et elle s’imagine être cette baguette toute chaude, qu’il brisera de ses mains, en retirera un morceau pour le faire fondre, tendrement, dans sa bouche. Ah! Qu’elle aimerait fondre dans sa bouche, au monsieur Félix. Tiens, c’est comme ça qu’il doit s’appeler, qu’elle se dit, Monsieur Félix. Ça va bien avec ses cheveux blancs, cendrés, plutôt, entre neige et cendre, comme lorsqu’elle était petite, à la montagne, et que son père l’envoyait quérir des braises pour repartir une autre fournée de pain dans le fournil de la maison d’enfance. D’ailleurs, monsieur Félix a des similitudes avec ce père tant aimé, si tôt parti de la vie de madame Émilienne. Si tôt qu’elle et sa famille avaient dû quitter la Savoie natale pour venir ici, en ville, loin des grands sapins gorgés de vert et de ces cimes blanches qui veillaient sur l’enfance de madame Émilienne. Tout ça lui revenait en mémoire lorsque, le matin, Félix se pointait avec son journal sous le bras, le regard pétillant, en fredonnant des airs joyeux de Joe Dassin. Où allait-il après ? Elle aurait bien voulu le savoir, sûrement dans quelque café tranquille de la rue Jaurès, pour écrire, qu’en savait-elle, un roman peut-être ? Un roman sans doute rempli de sentiments et d’audace, tout ce qui avait fait tant défaut à Madame Émilienne, elle qui n’avait connu que le pain et les fours. Tout ces petits pains qu’elle faisait avec amour, tous autant qu’ils étaient, bien emmaillotés dans leur mie, qu’elle refermait tendrement sur eux pour qu’ils n’aient pas trop froid au sortir du four. Car c’était ses enfants, à Madame Émilienne, ces petits pains.

8 commentaires:

Tattoo a dit…

Il y a quelque chose dans la fin qui me chicote, mais je ne saurais trop dire quoi au juste.

À part ça, chapeau! C'est réussi! Touché! Et touchant.

Maintenant, un peu de commentaire post-Freudien. " elle s’imagine être cette baguette toute chaude, qu’il brisera de ses mains, en retirera un morceau pour le faire fondre, tendrement, dans sa bouche."

L'envie de pénis de Mme Émilienne. Très transparent ce symbolisme.

"D’ailleurs, monsieur Félix a des similitudes avec ce père tant aimé, si tôt parti de la vie de madame Émilienne."

Le désir du père, complexe d'Oedipe non résolu.

Il y a des forces sombres qui remuent dans ton imaginaire, malgré ton côté candide, qui nst qu'une facade. Je n'entreprendrais pas ta psychanalyse.

LOLOLOLOLOLOLOLOS

(As-tu déjà remarqué que plusieurs LOL d'affilée, ça fait les LOLO?

Jérôme-Olivier Allard a dit…

J'abonderai dans le même sens que Tattoo. C'est très réussi. Un fort joli texte qui m'a fait sourire en coin tout au long de ma lecture.

Mais, pour ma part, ce n'est ni la baguette ni la figure du père qui m'a le plus titillé la fibre psychanalytique. C'est plutôt l'allitération de M dans "Madame Émilienne". C'est très phallique. On sent le grognement coïtal mâle dans le mmm. C'est donc dire que Madame Émilienne serait une femme virile, prête à coincer Monsieur Félix entre ses grosses miches, à l'assommer, à grands coups de mamelles, comme dans l'Hécatombe.

Vianney a dit…

Ce fut un exercice plaisant pendant la nuit d'écriture du Ceula. J'ai écrit ça one-shot, pis je l'ai blogué ici. Je suis surpris que ça vous ait plu. Je vais essayer de retravailler ça éventuellement. La fin te chicote, Tatoo? Faudrait que je creuse, que je développe, peut-être.

Oui, j'ai souvent vu des lolos en lolant sur le net. C'est bien joli, surtout quand c'est un rire ferme.

Phallique, oedipien, tiens donc, j'avais pas vu ça...mmmm
Madame Émilienne est sûrement une virago poilue, alors que Félix est un homme féminisé....

Tattoo a dit…

Ah, merde, si j'avais su qu'il y avait une nuitte d'écriture, j'y serais sans doute allé! Ne serait-ce que pour voir des gens. Tiens-moi au courant des événements littéraires! Je commence à moisir un peu dans mon petit coin, avec ma maîtrise...

Jérôme-Olivier Allard a dit…

Virago, certes, l'Émilienne.

Tattoo, tous les maîtrisants finissent par sentir la vieille robine moisie. Pour ma part, j'ai même commencé à moucher du vert-de-gris. Et, y'a pas à dire, ça va aller en empirant... je serai en prolongation, cet hiver. Je vous dis pas l'odeur !...

Vianney a dit…

Tatoo: oui je te tiendrai au courant, d'ailleurs ta présence en ces événements me manque. Tu y mets de la couleur! Et n'oublie pas qu'on doit aller prendre une bière un de ces quatre! On remet, on remet, pis ça vient qu'à faire longtemps. Toi aussi Asca, ça fait longtemps qu'on s'est vus...

Je trouve qu'on vient qu'à devenir sauvage à force de maîtriser la non-maîtrise de nos vies.On est comme en dehors du monde. Faut faire de quoi de rassembleur prochainement! Une escapade à Montréal ça pourrait être bien, on boirait des bières dans un bar sous-sol où ya des tables de pool...

Jérôme-Olivier Allard a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Jérôme-Olivier Allard a dit…

Heu, ouais, je disais donc:

Vous êtes toujours les bienvenus, j'espère que vous le savez, si jamais vous avez envie de venir faire un tour dans la grosse ville sale.